Dix ans après sa création, cette expérience d’unité palestinienne en Israël — et son échec final — montre la nécessité de cultiver soigneusement les alliances.
Il y a dix ans, les quatre partis palestiniens majoritaires en Israël ont réalisé une avancée sans précédent en formant la Liste commune, une alliance électorale historique visant à combler les fossés idéologiques et les rivalités interpersonnelles qui divisaient les dirigeants fragmentés de la communauté.
Bien que de courte durée, cette expérience a suscité un enthousiasme politique rare parmi les citoyens palestiniens d’Israël, qui aspiraient depuis longtemps à l’unité et à l’influence. En cinq ans, la Liste commune est devenue le troisième parti d’Israël et le principal challenger de la politique sioniste traditionnelle.
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L’influence de la Liste a atteint son apogée pendant la crise politique israélienne de 2019-2022, lorsque plusieurs élections sans issue ont plongé le pays dans une impasse. Du jour au lendemain, les législateurs palestiniens se sont retrouvés dans la position improbable de faiseurs de rois, leur soutien étant indispensable à la formation d’un gouvernement capable de remplacer celui de Netanyahu.
Dix ans après les débuts prometteurs de la Liste commune, la politique palestinienne en Israël est fracturée au point d’être méconnaissable. La direction unifiée de la Liste s’est à nouveau fragmentée en factions rivales, paralysées par des divisions idéologiques, des désaccords stratégiques et des rivalités personnelles, certaines anciennes, d’autres nouvelles. Cette désintégration a alimenté la désillusion des citoyens palestiniens à l’égard du système politique israélien et de leurs dirigeants inefficaces, entraînant une chute vertigineuse de la participation électorale et de la représentation parlementaire.
Et dans les rues, un climat de peur règne. Alors que les horreurs se déroulent à Gaza, les citoyens palestiniens d’Israël observent dans un silence démoralisé. Si certains ont ouvertement résisté à la guerre, la plupart ont peur de s’exprimer contre elle et sont tout aussi terrifiés par son extension potentielle au-delà de la Ligne verte.
Le long chemin vers l’unité
Pour les citoyens palestiniens d’Israël, la formation de la Liste commune était attendue depuis longtemps. Pour la première fois depuis la création d’Israël en 1948, la communauté pouvait revendiquer un leadership unifié doté d’une autorité légitime pour parler au nom de tous.
Au cours des premières années d’Israël, alors que les Palestiniens luttaient pour se remettre du traumatisme de la Nakba, le régime militaire (1948-1966) a délibérément réprimé toute organisation politique. Le Parti communiste israélien (Maki) a finalement émergé comme la force politique dominante dans les années 1960-1970, mobilisant les électeurs palestiniens grâce à son cadre binational. Cependant, malgré sa popularité, il n’a pas réussi à représenter toute la diversité idéologique de la communauté.
À la fin des années 1980, de nouveaux courants idéologiques ont émergé pour la première fois, lorsque des réformes libérales en Israël ont permis la création de nouveaux partis palestiniens tels que l’Assemblée nationale démocratique (Balad). Bien que fragmentée, la direction palestinienne a joui d’une influence sans précédent à cette époque, soutenant le gouvernement du Premier ministre Yitzhak Rabin (1992-1995) – le plus libéral de l’histoire d’Israël – sans être officiellement incluse dans sa coalition au pouvoir.
Au lendemain de la deuxième Intifada, les dirigeants palestiniens fragmentés ont été poussés à la marge de la politique israélienne, tandis que leurs alliés naturels de la gauche juive ont progressivement perdu toute importance électorale. Dans le même temps, un bloc de droite de plus en plus dur a renforcé son emprise sur la Knesset, rendant de plus en plus urgent l’appel à l’unité politique palestinienne.
Au début, les dirigeants palestiniens ont résisté à ces appels, malgré l’apathie croissante des électeurs et la baisse de la participation. Le tournant décisif s’est produit en 2014, lorsque le politicien d’extrême droite Avigdor Lieberman, alors ministre des Affaires étrangères, a orchestré une réforme électorale cruciale. Sa proposition de relever le seuil d’entrée à la Knesset de 2 % à 3,25 % – visant clairement à éliminer les petits partis palestiniens – a finalement contraint les dirigeants divisés à mettre de côté leurs différences face à cette nouvelle menace existentielle et à former la Liste commune.
Si les dirigeants de la Liste commune considéraient leur alliance comme une réponse tactique aux nouvelles restrictions électorales imposées par Israël, sa création a déclenché une vague d’enthousiasme sans précédent parmi la population. La plupart reconnaissaient que la Liste n’était pas une panacée, le fossé entre les citoyens palestiniens et le courant sioniste dominant restant très large. Pourtant, la campagne de 2015 a suscité un véritable espoir parmi les Palestiniens, d’autant plus que certains juifs israéliens de gauche voyaient également dans la Liste un potentiel faiseur de rois dans un gouvernement de centre-gauche post-Netanyahu.
La campagne électorale de la Liste a canalisé cette énergie. Les dirigeants sont apparus unis lors de conférences de presse communes et sur des panneaux d’affichage dans les villes palestiniennes d’Israël. Les résultats ont dépassé toutes les attentes : des électeurs auparavant désengagés ont affiché des produits dérivés de la Liste sur les réseaux sociaux, tandis que les efforts de mobilisation menés par des bénévoles ont fait passer le taux de participation palestinien de 56 % (en 2013) à 63 %. Plus spectaculaire encore, la liste unifiée a remporté 13 sièges, soit deux de plus que les partis pris séparément en 2013.
La crise de 2019-2022
Le succès initial de la Liste commune a rapidement cédé la place à des dysfonctionnements internes, les représentants palestiniens n’ayant pas su tirer parti de la dynamique créée par leur percée de 2015. Les conflits idéologiques et les rivalités personnelles ont favorisé un climat de suspicion mutuelle qui a aliéné leur base, aboutissant à une scission temporaire en 2019. Les conséquences se sont clairement manifestées lors des élections de cette année-là, lorsque le taux de participation des citoyens palestiniens a chuté sous la barre des 50 %, un niveau historiquement bas, et que les partis divisés n’ont remporté que 10 sièges au total.
Pourtant, le chaos politique qui a régné en Israël entre 2019 et 2022, marqué par cinq élections consécutives et un électorat divisé presque à parts égales entre les camps pro-Netanyahu et anti-Netanyahu, a donné une seconde vie inattendue à la Liste commune. Reconstituée avant le scrutin de septembre 2019, elle a immédiatement regagné ses 13 sièges. Puis, en mars 2020, elle a franchi une étape historique en devenant le troisième parti d’Israël avec 15 sièges, le plus haut niveau jamais atteint par la représentation palestinienne. Le taux de participation a rebondi, tandis que le soutien aux partis sionistes parmi les électeurs palestiniens s’est effondré, passant de 28 % à seulement 12 %.
Surtout, la Liste a élargi son audience au-delà de sa base palestinienne, faisant campagne dans des villes à majorité juive et axant son message sur la solidarité entre Arabes et Juifs. Cette ouverture, bien que modeste, lui a permis de doubler son soutien parmi les Juifs, avec environ 20 000 voix supplémentaires, une marge étroite mais décisive qui lui a assuré un siège supplémentaire. Pendant un bref instant, la Liste a prouvé qu’une voix palestinienne unifiée pouvait remodeler la politique israélienne. Mais sans une unité institutionnelle plus profonde, ces gains s’avéreraient éphémères.
La Liste commune a tenté de tirer parti de sa nouvelle influence pour forcer la main du centre-gauche juif. Son calcul était clair : comme la destitution de Netanyahu nécessitait ses sièges, elle espérait obtenir des concessions sur l’inclusion des Palestiniens. Mais cette stratégie a mal interprété la métamorphose politique d’Israël. Ce qui aurait pu être négociable à l’époque de Rabin était devenu impensable dans le climat politique des années 2020.
Face à la perspective d’inclure dans la coalition un bloc palestinien anti-occupation et non sioniste, le centre-gauche israélien a préféré l’autodestruction. Il a préféré une succession d’élections coûteuses et, à terme, l’oubli politique plutôt que la légitimation des revendications politiques palestiniennes.
Si les critiques ont souligné à juste titre que la stratégie de la Liste commune se heurtait à des obstacles insurmontables dans le climat politique ethnonationaliste d’Israël – comme en témoigne le refus du centre-gauche de prendre en considération même ses revendications les plus modestes –, cette vision étroite occulte les réalisations plus discrètes de la coalition. La Liste s’est révélée étonnamment efficace pour unifier les dirigeants civiques et populaires fragmentés de la communauté palestinienne. Sa création a conféré une légitimité aux politiciens et aux militants associés, qui pouvaient désormais prétendre de manière crédible parler au nom de l’ensemble de la communauté palestinienne.
De plus, l’impact de la Liste commune s’est étendu au-delà de la politique parlementaire, remodelant la société civile palestinienne en Israël. À l’instar d’autres communautés marginalisées vivant dans les pays occidentaux néolibéraux, les citoyens palestiniens s’appuient sur un réseau d’ONG et d’organisations militantes qui fournissent des services essentiels : recherche politique, défense des droits et mobilisation populaire. Mais si ces groupes ont toujours maintenu un certain niveau de coordination, leurs efforts ont été entravés par la concurrence entre eux pour des ressources limitées.
Avant la création de la Liste, chaque décision – quel membre de la Knesset inviter comme orateur, avec quelles organisations s’associer – comportait le risque d’aliéner des factions rivales ou de compromettre le financement. La Liste commune a complètement changé la donne. En fournissant un cadre politique cohérent, elle a permis à la société civile de se concentrer sur son travail et de collaborer sans le fardeau constant des calculs partisans.
Il ne faut pas minimiser les circonstances difficiles auxquelles la Liste commune a été confrontée, notamment son exclusion par des alliés politiques potentiels. Il ne faut pas non plus négliger la manière dont Netanyahu et la droite israélienne ont incité à la haine, intimidé et coopté la Liste, contribuant ainsi à sa chute finale. Mais pour grandir et reconstruire l’unité, les Palestiniens – et la gauche israélienne – doivent également tirer les leçons des erreurs de la Liste.
L’expérience de la Liste commune a révélé à la fois la nécessité et la difficulté de construire des partenariats interethniques dans le paysage politique fracturé d’Israël. Si ses efforts pour tendre la main au centre sioniste se sont avérés vains, elle a négligé les alliances potentielles avec ce qui restait de la gauche juive – en particulier le Meretz et le Parti travailliste, dont les bases en déclin comptaient des membres ouverts à un partenariat égalitaire avec les dirigeants palestiniens.
En tant que troisième parti de la Knesset, la Liste était bien placée pour insuffler une nouvelle vie à ce camp, voire en assumer la direction. Ayman Odeh, leader de la Liste et président de sa faction socialiste, le Front démocratique pour la paix et l’égalité (connu sous son acronyme hébreu Hadash), a fait quelques timides pas dans cette direction : il a accepté des invitations à prendre la parole dans des villes à majorité juive, a publié des tribunes libres dans des médias israéliens libéraux et a exposé sa vision d’un nouveau « camp démocratique » israélien opposé à la hiérarchie ethnique. Mais au-delà de ces gestes symboliques, peu de choses ont été faites pour exploiter et transformer la dynamique électorale palestinienne en un mouvement démocratique binational fondé sur l’égalité nationale et civique totale.
L’expérience de la Liste commune a montré que les véritables alliances politiques ne peuvent s’épanouir sans être soigneusement cultivées. Si les dirigeants de la Liste partageaient des objectifs fondamentaux, ils n’ont pas réussi à surmonter les barrières interpersonnelles et idéologiques. L’absence de mécanismes de résolution des conflits, de structures décisionnelles délibératives et d’accords codifiés de partage du pouvoir a rendu l’alliance vulnérable aux tensions idéologiques et personnelles qu’elle était censée transcender.
Plutôt que de considérer la Liste comme un cadre pour l’unité et la coopération palestiniennes, ses dirigeants l’ont simplement vue comme un moyen technique de contourner le seuil électoral élevé imposé par Israël. C’est peut-être là que réside la faille fatale de la Liste, qui a transformé ce qui aurait dû être une plateforme transformatrice en un arrangement fragile, constamment au bord de la désintégration. La future construction d’une coalition palestinienne, que ce soit en Israël, dans les territoires occupés ou dans toute la diaspora, doit tirer les leçons de cette expérience : une unité substantielle nécessite plus que des déclarations de solidarité et ne peut survivre sans la mise en place d’institutions solides favorisant le consensus, la coordination et la coopération.
Un mouvement en attente
Le paysage politique israélien s’est fortement détérioré depuis l’effondrement de la Liste commune en 2022 et le déclenchement de la guerre à Gaza. Alors que l’attention mondiale se concentre à juste titre sur les ravages causés à Gaza, les Palestiniens vivant en Israël sont confrontés à une persécution croissante – surveillance intensifiée, arrestations, violences policières et répression de la dissidence – tandis que leurs alliés juifs sont pris pour cible et fragmentés.
Les tentatives visant à relancer la Liste commune ou à forger de nouvelles alliances « grand chapiteau » sont au point mort. Certains de ses anciens dirigeants ont proposé de scinder les quatre partis à majorité palestinienne en deux blocs afin de franchir le seuil électoral, arguant que cela répondrait à la demande d’unité des électeurs. Mais les électeurs palestiniens, qui restent très diversifiés et plus désabusés que jamais par les querelles entre dirigeants, ne sont guère susceptibles de se rallier à de tels arrangements « techniques » avec la même énergie qu’auparavant.
Les efforts récents de l’Assemblée nationale démocratique et d’autres partis pour unir les factions antisionistes, bien que louables, se heurtent aux mêmes divisions stratégiques, idéologiques et interpersonnelles, qui sont encore plus profondes parmi les dirigeants qu’à la base.
C’est pourtant précisément à la base que réside l’espoir. Les citoyens palestiniens d’Israël, malgré la discrimination systémique dont ils sont victimes, conservent un levier unique : l’accès aux institutions israéliennes, aux réseaux économiques et la capacité de perturber le statu quo. La peur et la colère paralysent actuellement la mobilisation, mais ces émotions pourraient être canalisées vers un mouvement puissant, capable de remettre en cause l’apartheid de l’intérieur tout en reliant les luttes menées à travers la Palestine historique et la diaspora.
Ce qu’il faut, c’est un leadership suffisamment audacieux pour construire une unité substantielle, pas seulement des alliances électorales, mais une vision commune qui rassemble les factions palestiniennes, la diaspora juive progressiste et la petite mais déterminée gauche juive israélienne anti-apartheid, sans compromettre les revendications fondamentales : la fin de l’occupation israélienne en Cisjordanie et à Gaza, le démantèlement de l’apartheid et l’égalité de la rivière à la mer.
23 mai 2025,
+972 Mag,
Traduction POUR Press.